Tal Piterbraut-Merx

Tal Piterbraut-Merx (1992 - 2021) est écrivaine et chercheure en philosophie. Elle rédigeait une thèse à l'ENS de Lyon portant sur la domination des adultes sur les enfants comme point aveugle des théories contemporaines de la domination. Il s'agissait de montrer que les rapports sociaux adulte-enfant ne font que rarement l'objet d'une analyse politique. Militante et féministe, elle était engagée autour de ces questions. Tal Piterbraut-Merx a également écrit le roman La Funambule (éditions Maurice Nadeau, 2017). Outrages est son deuxième roman.

À titre posthume, le manuscrit de ses travaux de thèse a été revu, adapté et enrichi par Anaïs Bonanno, Élise de la Gorce, Selma (Sam) Ducourant, Félicien Faury, Léo Manac'h, Margaux Nève, Pierre Niedergang, Marion Pollaert, Audrey Smadja Iritz et Léa Védie-Bretêcher, sous le titre La domination oubliée, Politiser les rapports adulte-enfant

Photographie © Salomé Sourati

À quoi bon la littérature ?

Le confinement a été le théâtre de nombreux débats sur le caractère essentiel de commerces telles que les librairies. À la lecture de la question « à quoi bon la littérature ? », je réalise pourtant que curieusement les mots m’échappent, car l’acte de lecture se déroule pour moi en silence. Il y a quelque chose d’innommable dans l’effet produit par ces lettres dansantes sur les pages, qui font cligner mes yeux et retrousser mes lèvres, quelque chose qui ne doit pas s’énoncer à voix haute, par peur de se montrer indiscret. La littérature, paradoxalement, agit en moi en deçà du langage articulé ; elle me serre le poignet, trop fort, et à la place de phrases me laisse en bouche un embarrassant magma, qui déborde souvent. Si le livre est une denrée essentielle, il l’est alors comme un aliment étrange et inquiétant, trop dur et trop mou à la fois, au goût âcre et sucré, dont on pourrait aisément se passer, au risque toutefois d’y perdre ses dents.

L’acte d’écriture est-il un acte d’engagement ?

Écrire, c’est soigneusement cueillir dans un champ de mots ceux qui semblent les plus adéquats pour composer son récit. En cela, l’acte d’écriture est bien un acte d’engagement : il impose de prendre position, de trancher dans le vif, et peut-être surtout de nommer des régions qui n’avaient pas pu l’être jusqu’alors. Et pourtant, on n’écrit – heureusement – pas un roman comme on écrit un discours.
Mon militantisme est étroitement relié à mon écriture : il détermine en grande partie le choix des thèmes, le choix des mots, et mon désir de placer sous le feu des projecteurs des personnages que l’on préfère souvent enfermer à double tour, dans un triste placard. J’y déploie la même colère, la même tendresse que je pourrais le faire dans d’autres espaces de mon existence. Mais l’acte d’écriture exige de moi un positionnement bien plus risqué, car j’y raconte des histoires. En cela, le rapport à la vérité se pose de manière bien plus périlleux : par peur d’être accusée de mensonge, par peur de travestir des ambiguïtés, je dépose ma bouche contre les orties du langage, et l’en ressors gonflée. Au sens strict, je ne parle pas la même langue.

Qu’est  Outrages pour toi ?

La perspective adoptée dans Outrages peut selon moi se comprendre à partir d’un film qui m’a vivement marquée adolescente, Festen de Thomas Vinterberg. Outrages est un anti-Festen : il s’agit de refuser les coups d’éclat, les grands règlements de comptes familiaux. Ou plutôt il s’agit de montrer que vouloir rompre par la parole le silence qui entoure les violences exercées au sein de la famille peut être un piège, car on s’épuise à parler sans être entendu·e. La thématique du secret est très importante pour moi, en particulier lorsqu’elle touche à l’inceste, parce qu’on a tendance à considérer qu’un secret doit être rompu. L’envers du secret est ainsi représenté par le cri. Or, l’acte du coming-out, qu’il touche d’ailleurs à l’inceste ou à l’homosexualité, impose à la personne une manière de se dire qui est aussi douloureuse et limitante. Je ne sais pas si on peut mourir de se taire, mais la captation de la parole comporte des risques certains.


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