Miel Pagès
À quoi bon la littérature ?
Dans Blindée d'Innocence, un recueil que nous avons écrit avec le collectif de poésie la Filée, il est dit : "la poésie c'est pas du champagne estie c'est de l'eau" et c'est ce que je défends ; un fluide vital accessible à toustes, une poésie que l'on tague sur les murs ou que l'on s'offre dans l'intimité d'enveloppes.
La poésie c'est une grande capacité d'écoute, c'est avant tout de l'empathie avec le vivant, avec toutes les formes de douleurs et de folies. Elle est intrinsèquement sociale, animiste, militante, sans avoir besoin de matraquer un discours.
Le berceau de la poésie c'est la curiosité, un apprentissage permanent, et un mouvement vers l'autre qui se veut doux, avec les sens comme outils de bienveillance.
La vie est littérature, donc, gardons la vivante.
L’acte d’écriture est-il un acte d’engagement ?
Écrire est forcément radical puisqu'on choisit de fixer les mots dans un monde où tout est mouvant. En écrivant on se positionne dans le monde, on fait un arrêt sur image.
La poésie n'est pas lucrative. La poésie ouvre l’imaginaire, pose des questions sur le sens du monde et sur les rapports humains. Elle permet un débat qui se fait de manière sensible.
Écrire quand tout aboie autour de nous, sortir un stylo qui ne nous a pas coûté bien cher, observer, critiquer, se remettre en question, se demander qui nous sommes à nous-mêmes et dans le collectif, c'est tout ça écrire.
Qu’est La Septième Lèvre pour toi ?
La Septième Lèvre c'est ma lèvre invisible : la part de manque et de désir qui vit dans le ventre, la part d'espoir, une élévation qui commence par la chair.
Je tente de comprendre de quoi est fait mon corps, le langage qu'il parle avec les autres corps et surtout, j'essaie de réunir un état sexuel et un état divin. C'est important pour moi de nourrir l'imaginaire sexuel en l'étirant, en l'ouvrant aux rêves et presque à l'impossible. L'écriture et la sexualité se rejoignent à des endroits extrêmement créatifs et libérateurs, et qui reflètent notre manière d'être au monde. Je crois que c'est ce lieu intime qui peut nous permettre de poser de nouveaux regards sur les choses et de repenser nos liens.
Écrire, c'est une extase : je porte mon corps en-dehors de moi pour le donner à lire. Ma lecture du monde passe par mon corps, avec tous les trous et les zones invisibles que cela comporte.
Et puisque j'ouvre le recueil avec une citation de Marie Uguay, j'aimerais finir avec elle : "Désir : le chemin probable de ma liberté. Je ne dois pas culpabiliser, peu importe les motifs même de ce désir, il est vie."
Qu’est Les Sublimations pour toi ?
C’est un recueil de petites crottes transformées en pierres précieuses grâce à l’alchimie de la poésie.
J’ai écrit ce recueil dans une période où je lisais beaucoup de psychanalyse, comme le nom du livre l’indique, puisque le titre est directement inspiré d'un concept psychanalytique : "la sublimation" signifie "transformation des pulsions internes en des sentiments élevés" (Cnrtl), ce qui concerne les activités artistiques, dont la poésie. Cela veut aussi dire "passage d'un corps de l'état solide à l'état gazeux" où l’on retrouve cette idée de transformation, d'évolution. La sublimation ne fait de mal à personne, elle aide le sujet à déplacer sa douleur ou son désir vers des objets sensibles et esthétiques.
Trois thèmes se sont imposés à moi : le désespoir, le rapport au langage et l’amour catastrophique.
Pour moi Les Sublimations c’est un pont une échelle, un passage, ce qui fait tenir, c’est un manuel de survie, une porte ouverte sur des pensées merdiques où pourront fleurir plus tard des perspectives luxuriantes. Je vois « les sublimations » comme un synonyme de poésie, la capacité à transformer des sentiments ou des évènements en ode ou en rhapsodie, la faculté de se savoir mouvants, avec un potentiel à l’action ou à la création.
C’est.
Infiniment marcher sur la crête entre désir et angoisse.