Meryem-Bahia Arfaoui

Après avoir suivi des études de sciences politiques et de droit, Meryem-Bahia Arfaoui, originaire du quartier Empalot à Toulouse, décide de s’intéresser à l’audiovisuel comme moyen d’archive et de transmission. En 2021, elle réalise « Les Splendides », un court-métrage documentaire qui remporte le grand prix du jury du concours Arte « Et pourtant elles tournent ». Puis à la demande d’habitant·es des quartiers nords de Toulouse, elle réalise en 2023 une série documentaire dans laquelle plusieurs générations reviennent sur soixante ans d’histoires et d’immigration toulousaine. En 2024, elle écrit et réalise le documentaire « Camionneuse », co-produit par Arte ; un portrait en immersion qui tente d’approcher et de réfléchir aux rêves qui hantent les descendant·es de colonisé·es. Les Coursives est son premier recueil publié.

Photographie © Fabio Boucinha


À quoi bon la littérature ?

D’abord, parce que le livre est un objet métamorphe qui peut prendre plein de formes différentes pour amortir l’impact continue d’entre soi et le monde. Un peu courrier à destinataire inconnu et « pourvu que », un peu tiroir à secret bruyant, un peu cabinet de curiosité, un peu consignation à vue, un peu boite à écho des voix dans la tête, beaucoup caveau. Pour moi, chambre d’éternel ado entre les quatre murs sans porte des côtes d’une page. Pourvu que j’habite une chambre, et que cette chambre ne s’installe nulle part. Donc, la littérature, pour se rappeler l’exil, redevenir nomade et ne plus avoir à répondre ni à « d’où tu viens », ni à « où dois-tu arriver ».

Ensuite, parce que le livre est outil. Qu’il serve à cartographier la constellation de pensées politiques qui permettent de construire en chemin, un sens de vie collectif ; à archiver des histoires de lutte pour faire le lien entre camarades de siècles différents ; ou par la praticité de ses pages qui d’un coup d’allumette prennent feu et peuvent, par principe de propagation, se répandre à d’autres surfaces qui elles-mêmes prendront feu.

Donc finalement, parce qu’une révolution peut aussi commencer par là.

L’acte d’écriture est-il un acte d’engagement ?

L’acte d’écriture est un acte de responsabilité. Je sais écrire parce que les miens ne savaient pas le faire. Donc l’acte d’écriture, la possibilité de pouvoir fournir ce geste, d’avoir les conditions pour le fournir, déplace notre mission fanonienne : j’écris parce que j’ai la possibilité de le faire, et c’est exactement la raison pour laquelle je le fais. Ce n’est pas un engagement, parce que ce n’est pas un acte individuel. C’est une responsabilité intime et collective. Donc politique. 

Qu’est  Les Coursives pour toi ?

Je pense que c’est un cimetière.

On n’a jamais enterré de bâtiments, de quartiers, de lieux de vie collectives. un jour ils sont là, un jour ils sont plus là. Enfin, un jour ils sont là, c’est notre monde en orbite loin d’un centre blanc-bourgeois; un jour tout est détruit, et nous on reste là. Mon quartier se fait grignoter et il n’y a rien pour se recueillir. Et rien qui reste qu’un fantôme puisse hanter. Alors certains se sont installés dans nos têtes, et c’est pénible tout ce bruit dedans que les autres n’entendent pas. Donc je pense que c’est un cimetière, mais ne sais pas encore si c’est une histoire de fantômes qui hante les vivant.e.s, ou une histoire de vivant.e.s qui hantent les fantômes. Allonger ces barres d’immeuble au pied d’une page, c’est comme les laisser reposer en paix aux pieds d’un arbre. (de toute façon, ces feuilles étaient d’abord un arbre avant de devenir ce livre).

Je pense que c’est une lettre d’amour. Mais une lettre d’amour, ça ressemble étrangement à un cimetière.


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Nour Bekkar