lou dimay
Autrice, enseignante et chercheuse, lou dimay a trouvé dans l’écriture les conditions de la survie, l’activation d’autres possibles et la vitalité de la révolte face aux violences ordinaires et aux rapports de domination de « l’ordre social ». Elle s’ancre dans l’expérience ordinaire, l’éphémère, les silences, les voix, les dits, non-dits et indicibles, le langage des corps et la texture des êtres. Elle explore les formes de l’écriture et de la parole qui déprotègent et reconnaissent la fragilité en même temps qu’elles s’inscrivent dans le désir et la puissance collective. Ses romans : Le Souffle et Du néant j'hérite.
À quoi bon la littérature ?
Je n’ai jamais pensé faire de la littérature. Je fais un métier d’écriture très formelle, la recherche, mais je me suis mise à écrire vraiment, parce que c’est devenu, à un moment de ma vie, vital. Vital pour respirer, pour dire, pour ressentir et se projeter vers des futurs possibles.
De l’écriture de l’intime, tendue comme un cri expulsé pour renaître, j’ai ensuite découvert comment l’écriture se métamorphose pour s’ouvrir au monde, grâce aux éditrices Karima et Sol. Par leurs lectures, leur entourage et leur accompagnement, j’ai appris à écrire autrement, à trouver mon rythme, mon ton, ma voix. J’ai rencontré un espace qui s’ouvrait pour reprendre mes récits, leur donner une portée politique et collective. Partir de soi, de l’expérience profonde, de la violence ordinaire, vécue et indicible, pour tisser pas à pas une histoire qui nous permet de retrouver notre puissance, individuelle, et collective – partager ce qui nous submerge et nous anéantit pour s’en libérer, dans une forme de catharsis.
J’ai appris dès lors à lire autrement et j’ai ouvert la porte en grand à la littérature féministe – comme espace de l’indicible qui trouve sa place et se déploie comme nouvelle manière d’être au monde, d’y habiter et de se relier.
En rencontrant la littérature, dans le double geste de l’écriture et de la lecture, j’ai incorporé la puissance vitale des histoires, de la fiction et de la fabulation, j’ai réussi à trouver un nouveau souffle et d’autres manières d’être au monde.
L’acte d’écriture est-il un acte d’engagement ?
De mon expérience, l’écriture est d’abord un geste de survie, de résistance à l’anéantissement. Là où l’engagement s’inscrit pour moi c’est au moment de la publication. Pourquoi un texte vient-il au monde, à d’autres que soi ? Pour dire quoi, pour ouvrir quels possibles, pour mettre au contact avec quelles textures? Écrire fait (re)vivre en soi des lignées, des histoires, des sensations, des émotions qui parfois n’avaient pas la parole, et qui se déploient dans ce nouvel espace qu’on leur offre. Parce que la multitude en soi frémit et réclame d’être entendue. L’engagement dans le geste d’écrire, selon moi, c’est de penser que ces voix-là, ces lignées-là, peuvent entrer en résonance avec d’autres histoires, d’autres corps, d’autres émotions, qui tissent ensemble une manière de vivre qui ne soit pas mortifère, mais bien au contraire qui nous relie par ce qui en nous est bruissant, ce qui en nous fait de nous des vivants, sentants, respirants et qui exige que nous lui donnions collectivement de la place.
Qu’est Le Souffle pour toi ?
Le Souffle pour moi est le début de quelque chose, une guérison, un espoir et un recommencement, un cri et une place publique libre pour que le souffle circule, une renaissance après les petites morts ordinaire de nos quotidiens. Se rendre compte de ce qui nous coupe le souffle, imperceptiblement ou de manière brutale, du poids de l’atmosphère, du manque d’air, du vent, de l’élan, de la vie toujours présente, pour les retrouver dans une grande inspiration.
Le geste de l’écriture trouve sa portée politique dans la portée systémique de l’intime : nous ne sommes pas seul·es à ne plus réussir à respirer, nous ne sommes pas le problème, celui-ci est une trame dans laquelle nous sommes capturé·es, mais d’autres trames existent ou sont à inventer, et reprendre le souffle, partager nos souffles, lancer nos souffles, les entretenir, ouvrir nos souffles est ce dont nous avons intensément besoin, avant même de savoir comment et où nous tiendrons debout ensemble.
Qu’est Du néant j’hérite pour toi ?
Il est question de santé mentale et de fascisme, et comment l’effet du fascisme transmis tacitement (dans le corps et la tête) précède l’émergence de faits que l’on peut qualifier explicitement de fasciste dans la vie quotidienne, dans l’expérience de la narratrice, à son contact direct.
J'explore en quoi c’est un peu la même matrice antisémite dedans et dehors (un continuum), comment les deux se rejoignent à l’occasion d’un « évènement », ce que cela fait en termes de rejaillissement de la transmission et de la mémoire, de ce qui a été tu, de ce qui a été dit, du silence, de la postmémoire. J'explore le climat fasciste - passé et présent, sans rupture nette, que ce soit politique "macro" ou dans la vie intime, personnelle, familière, ce que cela crée comme réactions, comme résonances avec ce qui était déjà là mais que l’on n’avait pas encore nommé, en l’occurrence une identité assimilée, perdue. Comment cela devient pour la narratrice une occasion de venir questionner ce qu’elle porte déjà dans son corps comme histoire, sans le savoir complètement et comment cela devient quelque chose d’actif (et non être agit : de la possession à la puissance d’agir), que de choisir d’hériter de cette histoire-là. Comment fait-on pour hériter d’une telle histoire, comment quitter "l'innocence" (au sens des alliances et d'Haraway) et comment faire notamment quand c’est une sorte de déloyauté familiale que d’explorer cette histoire ? Dans le cas de la narratrice, il lui est interdit de créer quelque lien explicite que ce soit avec « ça ». C'est une transgression majeure.
Et c’est ce « ça », dedans et dehors, dans le corps, la transmission, le privé, l’intime ; et le dehors « ça » que l’on s'interdit de nommer quand il surgit, parce que cela crée des séismes relationnels, politiques au sens inter-relationnels, un politique « micro ».
C’est un peu tout cela que j’explore et c’est aussi une manière, face à des choses qui sidèrent et terrifient - parce qu’il s’agit de terreur aussi dans tout cela, de retrouver la puissance d’agir, est-ce que c’est seulement possible ?
Cela pose aussi la question de ce que l’on accepte, quel est notre niveau de tolérance, jusqu’où ?
Par quoi sommes-nous agis lorsque nous répondons à ce qui arrive, est-on agis par de la vengeance, par autre chose ? Peut-on encore être agis par de l’amour face à quelque chose d’aussi terrible ?
C’est un peu tout ça qu’il y a dans ce texte. Et encore d’autres choses !