Camille Laforcenée
Camille Laforcenée est une dessinatrice, sérigraphe et graveure toulousaine. Elle mêle dans sa pratique une formation graphique à une approche autodidacte et cherche à créer des matières, de l’épaisseur et du sens. Elle a une pratique multiple de dessins, d’édition de fanzines et d’estampes (sérigraphie, gravure sur cuivre, gravure sur tétrapack). Elle a également participé à diverses expositions et festivals de micro-éditions. Telle quelle est son premier livre.
À quoi bon l'art ?
Créer c’est chercher en dedans ce qui sent, ce qui bouge, ce qu’on a peu de mots d’abord pour dire et puis ensuite, se trouver les outils pour l’exprimer. Créer c’est mettre en forme ce qui n’est d’abord qu’un vague pressentiment, c’est se surprendre soi-même de ce qui sort.
L’art c’est un plaisir en soi, qui se renforce quand on découvre l’écho d’une oeuvre qui résonne chez les autres. C’est une pratique de la sensation et de la recherche de sens mais de manière poétique.
Alors, l’art, il ne faut pas le prendre trop au sérieux, ni s’en moquer méchamment. L’art n’a rien de sacré, ni rien de méprisable, c’est une pratique ancestrale de nos humanités, ni plus ni moins.
L’acte de création est-il un acte d’engagement ?
Je répondrais simplement, non.
Pas plus que cuisiner, faire le ménage, ou s’occuper de son jardin. C’est à dire pas systématiquement.
Pour moi c’en est un. Je tiens très fort à la continuité qu’il y a entre ma vie et ce que je crée, et elle se fait empreinte d’intégrité et de cohérence avec mes convictions. Parce que créer est une pratique poétique, une recherche d’images et de symboles qui expriment ce que je crois, vois, pense, alors je ne peux pas créer sans être engagée, c’est-à-dire concentrer, attentive à ce que disent les détails et le tout. Je suis dans une recherche de vérité d’une part (celle des émotions, du ressenti, de l’indicible) et dans l’acte d’exprimer, d’autre part, dans l’acte de modeler nos imaginaires et de dire quelque chose de substantiel (qui parle du commun, du politique, qui parle aux autres).
Qu’est Telle quelle pour toi ?
Telle quelle c’est d’abord une envie d’ouvrir un dialogue sur nos habitudes de représentation des corps. Comment se fait-il qu’on réserve la représentation des corps à des contenus qui sexualisent ?
Comment se fait-il qu’on ne cherche à se voir qu’à travers le regard des autres, souvent avec la mise à distance de l’appareil photo ? Même si cette distance se réduit drastiquement avec les téléphones portables, on les retourne tout de même contre soi, comme pour voir ce que l’autre voit.
Quand est-ce qu’on se rend compte que les images de corps qu’on a l’habitude de voir sont dans leur écrasante majorité des manifestations symboliques de la binarité de genre et de l’hétérosexualité politique ? Et cela tout autant dans les arts graphiques ou la peinture que dans la publicité ou les séries télé ! Il s’agit de s’intéresser à ce qu’on représente mais aussi à comment on le fait. On doit dépasser la satisfaction du quota, de se voir à l’écran ou sur le tableau. La question doit devenir plus franche. « que dit cette image de moi ? De nous ? » Est-ce encore une énième pose lascive, une suggestion à peine cachée de viol ? Va t-on encore être réduit.es aux archétypes ancestraux de la mère, la vierge et la putain ? Ou trouve t-on dans ces images la corporéité d’une personne humaine qui, parlant depuis son vécu spécifique, réussit à faire écho à tant d’autres (quels que soient leurs genres d’ailleurs) ?
Telle quelle c’est aussi le résultat d’une longue conversation avec mon propre corps. Après ces multiples échanges dessinés, je modifie l’image que je me fais de mon corps. Je découvre une facette de l’outil du dessin que je ne connaissais pas : la capacité d’agir sur la matière de mon imaginaire.
Telle quelle ce n’est que le début pour moi. Être dessinante et dessinée, c’était le point de départ logique pour parler de représentation des corps. Il reste beaucoup à dire.