Douce Dibondo

Douce Dibondo est journaliste, diplômée en sociologie ainsi qu’en information et communication, elle milite au sein des luttes afroféministes, queers et anticapitalistes. En 2018, elle crée et produit avec Anthony Vincent le podcast « Extimité » afin d’offrir un espace où chacun·e a la possibilité de se raconter à la première personne. Les récits intimes ont pour elle un pouvoir politique, car ils sont toujours rattachés à la dimension collective comme horizon de libération. Douce Dibondo a contribué au livre Fruits de la colère. Chez blast, elle publie métacures (2023) et infra/seum (2024).

Photographie © Adeline Rapon


À quoi bon la littérature ?

à cette question je pourrai opposer (de manière légèrement agaçante) d’autres questions : à quoi bon le rêve, la souffrance, le pouvoir, la vérité, l’amour, les révolutions, la douleur, la guérison, la justice, l’expérience ? à quoi bon la vie ? toute forme de créations artistiques est un fragment anarchique de la vie, nous poussant à assembler ces choses dont on se sent dépossédé·e comme le rêve, la justice, la vérité, etc. la littérature comme tout art, n’est pas l’imitation de la vie qui, par essence, est indéfinissable. c’est une fenêtre de sublimation sur des mondes intérieurs, dont les mots et leurs sensations peuvent être des clés. à l’heure où le monde tangible érige des murs, où le passé accouche des monstres léthaux de racisme, de sexisme, de queerphobie, la littérature est pour moi, l’un des moyens d'accéder et de construire des révolutions. celles de l’imaginaire déjà, pour penser et faire advenir un nouveau monde. 

L’acte d’écriture est-il un acte d’engagement ?

malgré une connaissance profonde et sereine du verbe de ma vie — écrire, j’ai longtemps cru qu’il était plus raisonnable de cacher ma vitalité artistique loin des yeux des autres, par peur d’être jugée et moquée. j’ai donc écrit des articles pour des médias, des essais sur mes différents blogs, j’ai créé un podcast, continué à militer pour le droit des personnes minorisées. pourtant, je n’ai jamais cessé d’aller chercher mon écriture à l’endroit où elle jaillissait de mes blessures. j’ignorais que c’était à cet endroit précis que je trouverai le trésor de mon potentiel créatif.

en cela, l'acte de création est un engament. envers soi d’abord, mais surtout envers toutes les vivances : de l’esprit, du monde qui se tord sous le poids des dominations et des libérations. c’est s’engager physiquement dans la solitude d’une idée ou d’une émotion, sans jamais sectionner le cordon ombilical de notre être-au-monde. mais écrire ne suffit pas à s’engager, il faut à mon sens, spécifier la nature de notre engagement. il y a de celles qui s’engagent à détruire des vies en écrivant sous la plume du confort de la domination. il y a celles qui s’engagent dans la procédure qu’est l’écriture, sans jamais faire écho ni être au prise de tous les pans de la réalité autour d’elleux, empêtré·es dans un acte créatif frêle et égotiste. et puis dans les interstices des coins mal éclairés, il y a celleux qui tentent d’engager une écriture de la vie, du souffle qui asphyxie tant sa vérité est là, immuable. celleux-là s’engagent à travers tous les pores de leur littérature et s’évertuent jusqu’à la dernière virgule, à (d)énoncer la relation aux mondes intérieurs et extérieurs, aux humains, aux sociétés, au temps qui passe, à l’espace qui se fracasse et se recrée. celleux-là s’engagent à l’écriture comme un serment presque fatal, dans l’urgence et la nécessité. 

j’espère faire partie de ces dernier·es.

Qu’est métacures pour toi ?

des éclats de réalisations, un chemin bardé de mots-clés, l’urgence de dire et d’exprimer enfin, de peur d’imploser, l’écho de mes expériences, la traduction de mille sensations et d’une intériorité hypersensible, la face cachée de la lune, la trace de la souffrance qui suinte, le chaos organisé de mes guérisons, une vérité parmi tant d’autres, des pousses d’univers, un autoportrait à chaud et à nu, un je qui reconnait le nous, des révoltes sous les lettres, un bouillonnement entre les lignes, le souffle d’un corps qui respire enfin, le début d’une longue série de poèmes jusqu’à ma dernière expiration.


Précédent
Précédent

Tithi Bhattacharya